Suite au remplacement contre son gré de l’un des commandants de bord de la compagnie qui refusait, pour des raisons de sécurité, d’effectuer un vol au départ d’Orly avec une composition d’équipage dégradée, l’ensemble des syndicats de pilotes d’Air France, SNPL, SPAF et ALTER, appelleront les pilotes à cesser le travail le jeudi 11 janvier 2018.

Le 2 janvier dernier, la direction d’Air France n’a sans doute pas apprécié la décision de l’un de ses commandants de bord, également instructeur, refusant d’effectuer un vol ne répondant pas pleinement à la réglementation en vigueur et au manuel d’exploitation de la compagnie aérienne.

Alors que l’équipage devait effectuer sur A319 une rotation entre Orly et Biarritz, le chef de cabine, responsable des autres PNC et en charge d’assurer la sécurité des passagers en cabine pendant toute la conduite du vol, a du être débarqué pour des raisons médicales. Le commandant de bord a informé le service d’exploitation de la compagnie pour obtenir un Chef de cabine de réserve seulement aucun n’était disponible. Or dans ce cas le « MANEX », la bible des pilotes Air France qui répertorie l’ensemble des procédures d’exploitation de la compagnie, prévoit qu’un PNC ayant reçu une mini formation puisse « assurer le rôle » de Chef de cabine sous l’abrogation et le consentement du commandant de bord. Mais après en avoir débattu avec l’ensemble de l’équipage dont son copilote, ancien Chef de cabine, le commandant de bord face aux conditions climatiques du jour difficiles et au passage de la tempête Eleanor, a préféré ne pas assurer le vol.

Le Chef de cabine joue un rôle essentiel dans la gestion des passagers, il est ainsi spécifiquement formé pour faire face aux situations de crise et assurer le calme et la sécurité en cabine, notamment lors d’évènements météo ou d’exploitation imprévus où les passagers peuvent être très agités sous l’effet de la peur ou du mécontentement. « Le temps de ces derniers jours entraîne beaucoup de turbulences, de retards et de mécontentements, l’expérience du personnel cabine est essentielle pour rassurer et apaiser les passagers » nous explique un pilote. En effet, si l’OACI prévoit dans ses textes la possibilité d’assurer des vols en condition d’équipage réduit sous réserve d’adapter le nombre de passagers présents à bord, il est impossible d’effectuer un vol sans Chef de cabine.

/// Commandant : le seul maître à bord

Rappelons que pour des raisons de sécurité, la législation en vigueur prévoit que le commandant de bord exécutant un vol a l’entière responsabilité de la mission et peut décider sous sa responsabilité et son jugement d’effectuer ou non un vol s’il estime que la sécurité de ses passagers est menacée. Ainsi selon le Code des Transports et du Code de l’Aviation Civile, le commandant de bord est délégataire de direction générale de la compagnie et peut aussi à discrétion relever de ses fonctions un collègue jugé inapte au moment du vol ou refuser d’utiliser un appareil si celui-ci présente des problèmes techniques. « Je viens de refuser ce matin un avion qui présentait une tolérance technique lourde » nous explique un pilote de la compagnie « on est en tension d’effectif partout des PNT, PNC, aux personnels techniques pour l’entretient en passant par les sous-traitants »

Cette particularité qui place le commandant de bord en dehors de toute hiérarchie au cours de la mission et le soustrait théoriquement aux éventuelles pressions managériales pour ses prises de décisions, permet entre autres choses d’assurer au transport aérien un niveau de sécurité sans égal. Pourtant dans un communiqué adressé aujourd’hui à la presse, les syndicats de pilotes Air France, SNPL, SPAF et ALTER s’offusquent des agissements de leur direction et dénoncent les pressions qu’aurait subi le commandant de bord durant la préparation du vol pour l’inciter à effectuer celui-ci. « Les membres de ce même équipage ont subi des menaces de “conséquences managériales” de la part de leur encadrement pour les “convaincre” d’effectuer le vol en dépit des risques encourus pour la sécurité. En agissant de la sorte, la direction d’Air France bafoue les dispositions du Code des Transports et du Code de l’Aviation Civile relatives aux prérogatives des commandants de bord et ce, au détriment de la sécurité des vols. » explique les syndicats dans le communiqué.

/// Que réclame les syndicats

Les organisations syndicales de pilotes d’Air France attendent que la direction de la compagnie française reconnaisse que cette décision n’était pas conforme au respect des prérogatives des commandants de bord et qu’elle rappelle le périmètre de ces prérogatives à l’ensemble de l’encadrement et modifie certaines dispositions du manuel d’exploitation d’Air France pour en éviter des interprétations allant à l’encontre des prérogatives légales des commandants de bord en mission.

/// Une ligne rouge franchi ?

Si l’affaire parait anodine pour les non initiés, le fait qu’un commandant de bord soit « débarqué » alors qu’il prend une décision en accord et en application avec les textes légaux est problématique car elle ouvre la boite de pandore et déverrouille l’un des piliers de la sécurité du transport aérien en remettant en cause le jugement et les prérogatives du commandant de bord. Dans un climat global de recherche accrue de rentabilité au sein de la compagnie Air France, le personnel navigant technique en qualité de dernier verrou de la sécurité récolte les aléas d’une gestion « de plus en plus financière » de l’exploitation, elle même soumise à la concurrence du modèle low-cost. Les organisations syndicales de pilotes d’Air France dénoncent les conséquences désastreuses que cela pourrait avoir sur la sécurité et mettent en garde la direction contre le Hurry-Up Syndrome. « On sent depuis quelques temps une dérive et une main mise de la sphère financière sur la sécurité des vols. On est confronté à une course à la rentabilité » explique un représentant syndical de pilote avant d’ajouter « On travaille en flux tendu d’effectif partout chez Air France. Aussi bien chez les pilotes, les PNC, la maintenance mais aussi que chez les sous-traitants ».

En ce début d’année 2018, qui fait suite à l’année la plus sûre de l’histoire du transport aérien, souvenons-nous du vieil adage du voyageur « chi va piano va sano » qui signifie qu’il vaut mieux partir lentement et atteindre son but, plutôt que de se précipiter et prendre le risque d’aller tout droit à l’échec.

AAF /// END

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visuel : Nicky Boogaard sous (CC BY 2.0)



 
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