Qu’il s’agisse de propulser un avion ou d’entraîner le rotor d’un hélicoptère, les moteurs qui équipent ces aéronefs ont tous en commun plusieurs composants. A savoir, un compresseur qui apporte de l’énergie mécanique au fluide et élève ainsi sa pression et sa température, une chambre de combustion où la consommation du carburant et le flux d’air à haute pression font considérablement augmenter la température, et enfin une turbine permettant de récupérer toute cette énergie pour actionner les rotors d’un hélicoptère ou le système de poussée d’un avion : la pression et la vitesse des gaz fournissent la force nécessaire pour faire tourner les turbines et l’arbre qui, à son tour, entraîne le compresseur et la soufflante. Reste que les écoulements des gaz, dans ces trois systèmes, se révèlent très différents.
Dans le compresseur comme dans la turbine, les gaz circulent à des vitesses très élevées et, du point de vue de la géométrie, ils sont confrontés à la fois à des éléments fixes et mobiles. Dans la chambre de combustion, leurs vitesses sont plus modérées, et ce qui importe dans cet élément sont les réactions chimiques de combustion. On comprend donc aisément que l’étude et la conception de ces différentes pièces maîtresses d’un moteur soient généralement appréhendées de manière segmentée : d’un côté, par des spécialistes en turbomachines (compresseur et turbine), et de l’autre, par des spécialistes de la combustion.
C’est le cas dans les bureaux d’étude de Safran (Safran Aircraft Engine pour les moteurs d’avion, et Safran Helicopter Engine pour ceux d’hélicoptère). La conception des moteurs est menée par plusieurs équipes, sur la base d’une cible commune définissant les performances à atteindre. Compresseur, turbine et chambre de combustion sont ainsi étudiés indépendamment, avec des phases de concertation tout au long de leur conception. La répartition du travail en différents départements, tout comme la spécificité des écoulements propres à chaque composant, font que les logiciels utilisés par les uns et les autres ne sont pas les mêmes. Voilà qui complique naturellement les échanges d’informations. D’où l’intérêt de la collaboration entre Safran et le Cerfacs (Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique).
Vers une simulation intégrée
Ensemble, leurs chercheurs et ingénieurs planchent depuis plusieurs années sur des projets de recherche visant à mettre en place une suite logicielle capable de simuler de manière intégrée ce qui se passe dans le compresseur, la chambre de combustion et la turbine : on peut citer les projets européens COPA-GT et FACTOR ou encore des initiatives locales financées par le RTRA-STAE comme COFFECI. Un seul et unique outil permettrait en effet d’avoir de meilleurs retours, sans perte d’information, mais aussi de mieux simuler tous les écoulements et de s’assurer que l’ensemble est en parfaite adéquation. Et pour y parvenir, Cerfacs et Safran ont finalement construit et validé une solution numérique s’appuyant sur le code de calcul haute performance AVBP. De quoi s’agit-il ?
AVBP est un logiciel développé par le Cerfacs et l’IFP-EN (IFP Energies nouvelles), qui était au départ dédié à la seule simulation des chambres de combustion. Largement utilisé par la communauté française de recherche en combustion, il faisait naturellement partie des outils employés dans les bureaux d’étude de Safran. Il s’agissait donc d’étendre son domaine d’application à la conception de la turbine et du compresseur, de la manière la plus intégrée possible à la chambre de combustion. Et ce faisant, Safran Helicopter Engine est devenu le premier industriel de l’aéronautique au monde capable de simuler d’un même coup le comportement des fluides dans la chambre de combustion et au premier étage de la turbine.
Si ce travail a été couronné il y a bientôt deux ans du prix de la « Meilleure collaboration dans la simulation numérique » décerné par l’Usine Nouvelle, ce n’est pas pour rien : c’est une avancée majeure dans la capacité de simulation des contraintes pesant sur le moteur et en particulier sa turbine. La participation du Cerfacs en tant que porteur du projet lui confère en outre une visibilité scientifique de premier ordre, ses recherches en mécanique des fluides et en calcul haute performance étant régulièrement citées par les concurrents industriels de Safran.
De telles simulations ouvrent de nombreuses pistes, dont plusieurs pourraient jouer sur l’avenir des motoristes de l’aéronautique. En effet, afin de gagner en performance tout en réduisant les émissions sonores et la pollution, les solutions techniques pointent toutes vers des moteurs de plus en plus compacts. Ceci, alors que les chambres de combustion opèrent aux limites de stabilité de la combustion des carburants aéronautiques, avec des températures de plus en plus élevées, et donc d’inévitables interactions entre les différents composants du moteur.
Le meilleur des moteurs risque donc bien de ne plus être la somme des meilleures solutions trouvées pour chacun de ses éléments, comme on l’envisage encore aujourd’hui. Et seuls des outils de simulation intégrée permettront de trancher entre plusieurs choix, tout en réduisant le nombre des étapes et donc le coût de conception des moteurs de demain.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation. Auteurs : Florent Duchaine et Laurent GICQUEL
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visuel principal : Vincent Massé
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