Le 30 juin prochain, sur la Base aérienne 125 d’Istres, l’un des plus emblématiques ravitailleurs français, le KC-135R, tirera officiellement sa révérence. Après avoir accompli sa tournée d’adieux sur les principales bases du territoire, ce vétéran de la Force Aérienne s’apprête à passer le relais, marquant ainsi la fin d’un chapitre crucial de l’aviation militaire française.
Le retrait du KC-135R de l’Armée de l’air et de l’Espace marque une étape significative dans l’évolution des capacités de ravitaillement en vol de la France et s’inscrit dans une volonté de modernisation et de transition vers des aéronefs plus performants et plus adaptés aux exigences stratégiques contemporaines. Des appareils de dernière génération, de surcroît issus d’une conception européenne.
Un pilier stratégique depuis plus de 60 ans
Dérivé du prototype Boeing 367-80, le KC-135R — tout comme les C-135F qui l’ont précédé — a été l’épine dorsale du ravitaillement en vol français depuis le milieu des années 1960.
Acquis initialement pour équiper la Force Aérienne Stratégique voulue par le général de Gaulle, ces appareils robustes et discrets (sans hublots, à la silhouette plus compacte que le Boeing 707, bien qu’ils partagent de nombreux éléments structurels) ont remplacé les KC-97 Stratofreighter à moteurs à pistons devenus obsolètes.
Le KC-135 a officiellement intégré l’arsenal de l’US Air Force en 1957, au sein du 93rd Air Refueling Squadron de la 93rd Bombardment Wing. Sa mission principale consistait à assurer le ravitaillement en vol des bombardiers stratégiques B-47 et B-52, renforçant ainsi la capacité de projection de la puissance aérienne américaine.
Trois KC-135R (version modernisée du KC-135 Stratotanker) furent d’abord loués par l’hexagone à l’US Air Force avant d’être intégrés durablement au sein des forces françaises.
En presque trois décennies de service, les C-135F et KC-135R se sont imposés comme des instruments indispensables de la projection de puissance, participant à d’innombrables missions extérieures (OPEX) et à des exercices d’envergure, tels que HEIFARA-WAKEA en 2021, qui vit des Rafale être projetés à plus de 17 000 kilomètres de la métropole. Leur flexibilité opérationnelle a permis de ravitailler à la fois avions de chasse et appareils de transport, préservant l’autonomie aérienne française sur tous les continents.
La fin d’une époque, le début d’une nouvelle ère
Mais le temps a fait son œuvre. Usure des cellules, technologies dépassées et contraintes écologiques ont fini par sceller le destin de ces avions légendaires. C’est dans cette optique que l’Armée de l’air et de l’Espace a engagé depuis 2018 une transition vers le Phénix, nom donné à l’A330 MRTT (Multi-Role Tanker Transport), fleuron de l’industrie aéronautique européenne.
Issus du long-courrier Airbus A330-200, ces ravitailleurs multi-rôles représentent une avancée majeure en termes de capacité, de sécurité et de polyvalence. Dotés du système automatique de ravitaillement A3R, ils sont capables d’alimenter simultanément plusieurs appareils, dont les chasseurs Rafale et Mirage 2000, tout en assurant des missions de transport stratégique, de soutien humanitaire ou d’évacuation médicale grâce au module MORPHEE.
Une modernisation à haute valeur stratégique
Avec ses 111 tonnes de carburant embarquées, ses nacelles de ravitaillement sous voilure et sa perche ARBS, le Phénix est aussi plus efficient énergétiquement et aligné avec les engagements climatiques français. En cela, le ravitailleur européen incarne une réponse concrète aux exigences stratégiques du XXIᵉ siècle, dans un contexte de montée des tensions internationales. À terme, la flotte française d’A330 MRTT Phénix permettra de projeter jusqu’à 20 Rafale à l’autre bout du monde en moins de 48 heures.
La montée en puissance de cette nouvelle flotte mobilise des moyens considérables : formation des équipages, adaptation des infrastructures et transfert de compétences vers un système de plus en plus interopérable avec les alliés de l’OTAN. Ce basculement complexe, mais indispensable, s’inscrit dans une volonté claire : garantir à la France une capacité de dissuasion et de projection conforme à ses ambitions de puissance mondiale.
Un dernier vol aux allures de passage de témoin
L’émotion sera sans doute au rendez-vous lors de la cérémonie d’Istres, dernier hommage rendu à un appareil devenu mythique. Mais l’heure est à la modernisation, et le Phénix, en prenant son envol, incarne l’avenir d’une armée de l’air plus agile, plus verte et résolument tournée vers les défis globaux à venir.
/// Exercice HEIFARA : projection de puissance à 17000 km de la Métropole
visuels : ACTU AERO et C.Liau pour ACTU AERO –
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