Moins d’un an et demi après le non-lieu prononcé par les magistrats en août 2019 dans le procès du crash Rio-Paris, les réquisitions du Parquet Général faites dans le cadre de l’appel concluent au renvoi d’Airbus et d’Air France devant le Tribunal correctionnel pour juger des responsabilités de cet accident tragique qui a coûté la vie à 228 personnes en 2009.
Contre toute attente et malgré l’accumulation d’éléments à charge durant l’instruction à l’encontre du constructeur européen et de la compagnie aérienne française, les magistrats avaient prononcé un non-lieu dans le terrible accident de l’AF 447 du 1er juin 2009, qui a fait 228 morts. L’association des victimes et le syndicat des pilotes de ligne (SNPL) avaient immédiatement fait appel de cette décision.
« Le SNPL France ALPA a la conviction que les familles des victimes bien sûr, mais aussi tous les passagers attendent des réponses et de la transparence sur tout ce qui peut affecter la sécurité aérienne. Après dix années d’enquête, tous les acteurs de ce drame, le constructeur, l’exploitant et les autorités de tutelle doivent venir s’expliquer sur ce que les uns et les autres ont fait et n’ont pas fait afin que le Tribunal se prononce sur les responsabilités de chacun. » explique le syndicat dans un communiqué de presse en insistant sur la responsabilité de l’avionneur européen. « Aux termes de la réglementation, Airbus détient un agrément de conception. C’est donc au constructeur qu’incombe la responsabilité de l’analyse des risques et de la classification des événements susceptibles de survenir. Les fautes commises dans cette évaluation des risques et les manquements dans les informations transmises à la DGAC et à l’AESA par Airbus, engagent entièrement sa responsabilité en tant que concepteur et constructeur.»
Dans son réquisitoire, la Procureure Générale a en effet rappelé que la validation par une autorité ne constituait pas une cause d’irresponsabilité pénale prévue par le code pénal. Admettre une telle cause d’exonération, comme l’avait fait le Juge d’instruction, aurait ainsi pour conséquence de créer une irresponsabilité pénale des constructeurs. D’autres affaires de crashs aérien ont récemment rappelé au monde le processus de certification d’un avion de ligne et mis en lumière la responsabilité d’un avionneur dans ses choix.
« Personne n’aurait compris que Boeing ne reconnaisse pas ses fautes dans le cadre des accidents du Boeing 737 Max au motif que la FAA avait certifié l’avion. En effet, de la même façon qu’Airbus, le constructeur américain est intervenu dans la certification du B737 Max et a donc été logiquement mis en cause » explique encore le SNPL France ALPA « Le refus d’admettre ses responsabilités dans un tel accident, outre son caractère inacceptable pour les victimes et leurs familles, est préoccupant pour l’avenir de la sécurité du transport aérien. Airbus ne peut se défausser de ses responsabilités sur l’autorité de certification ».
Le syndicat de pilotes espère maintenant que l’ordonnance de non-lieu sera réformée par la Chambre de l’instruction de Paris pour qu’un débat « contradictoire et transparent » se tienne devant le Tribunal correctionnel. « Après dix années d’enquête, tous les acteurs de ce drame, le constructeur, l’exploitant et les autorités de tutelle doivent venir s’expliquer sur ce que les uns et les autres ont fait et n’ont pas fait afin que le Tribunal se prononce sur les responsabilités de chacun.
/// Succession de mauvaise décisions
Le 1er juin 2009, le vol Air France 447 reliant Rio de Janeiro à Paris s’abîmait en mer, tuant les 228 occupants présents à son bord. Après dix années d’une longue enquête, les responsabilités des pilotes, de la compagnie et d’Airbus ont été successivement pointées du doigt. L’enquête technique a permis d’aboutir très rapidement à la mise en œuvre de correctifs techniques et de nouvelles procédures pour les équipages, les conclusions successives des différents rapports d’experts ont suscité de nombreuses incompréhensions dans la profession et chez les parties civiles.
Rappelons que l’équipage, a été confronté à la perte des indicateurs de vitesse de l’appareil dû à la présence de cristaux de glace dans les sondes Pitot du fabricant Thales, alors qu’ils se trouvaient en vol de croisière à haute altitude au dessus de l’océan Atlantique, de nuit et donc sans repère visuel. Confronté à une situation inédite et à de multiples alarmes dans le cockpit, l’équipage n’était pas parvenu à identifier à temps le décrochage aérodynamique de l’avion comme l’explique le rapport du BEA sur l’accident. La perte des informations de vitesse, ou plutôt la transmission par ses dernières de données erronées aux calculateurs aurait empêché de fonctionner de manière nominale, en cascade, plusieurs systèmes de l’appareil. Une analyse partagée par Roger Rapoport (journaliste d’investigation) et Shem Malmquist (commandant de bord, instructeur et enquêteur-accident) auteurs du livre « Angle d’Attaque», qui revient avec beaucoup de précision sur l’enchainement des évènements ayant conduit à la perte du vol AF447 et sur la difficile phase de recherche des restes de l’avion au milieu de l’Atlantique.
Les ordinateurs de bord de l’A330, qui aident habituellement la conduite de l’avion et son maintien dans une enveloppe de vol, se seraient ainsi mis à ne plus fonctionner en loi normale, c’est à dire avec l’ensemble des protections habituelles de l’appareil mais en loi dite “alternative”, c’est à dire avec moins de protections de sécurité, sans que les pilotes n’en soient vraisemblablement clairement informés par le système. Les experts expliquent qu’en loi alternative la conduite de l’avion devient plus délicate et la maniabilité de l’appareil change radicalement, d’autant plus à grande vitesse et haute altitude du fait de la pauvreté de l’air en oxygène.
/// Problèmes de formation et de sonde identifiés
Les conclusions du dernier rapport d’expertise judiciaire dans l’accident du vol AF-447, publié le 24 septembre 2018 mettent directement en cause les pilotes de l’avion, mais aussi la compagnie Air France, qui n’a pas fourni la formation et les informations suffisantes, et dans une moindre mesure le constructeur Airbus.
A l’époque de l’accident, certaines compagnies dont Air France interdisait aux pilotes de piloter en manuel au dessus de 10 000 mètres d’altitude. Dès lors seul un entraînement sur simulateur permet d’appréhender le comportement de l’avion à haute altitude en pilotage manuel et en loi normale.
« Quand les critiques de cet équipage prétendent que le décrochage est uniquement dû à des erreurs de pilotage, comme l’estime globalement la dernière contre-expertise, c’est qu’ils ont mal lu le rapport du BEA et pas compris le sens de la première expertise judiciaire. Il faut savoir lire entre les lignes. (…) la vérité c’est qu’ils n’étaient plus en train de piloter un summum de technologie bien rodée, mais un avion lourdement handicapé, au domaine de vol moins bien protégé que les vieux 707 ou DC8 qui disposaient eux d’une ultime alarme, celle du vibreur de manche. » affirme Gérard Arnoux, ancien pilote Air France et président du Comité de veille de la sécurité aérienne dans son livre « Le Rio-Paris ne répond plus.» paru aux éditions L’Harmattan.
Tout serait donc parti d’une sonde, ou plutôt de trois sondes incapables de transmettre des données exactes, déroutant les ordinateurs de bord et l’équipage de l’avion qui se retrouve en décrochage aérodynamique en l’espace de 50 secondes, une situation critique dans certaines conditions. Ce n’est que par la suite que le règlement FAA / FAR 60, entré en vigueur en juin 2016, a rendu obligatoire la mise en place d’entraînements spécifiques à la récupération de décrochage sur des simulateurs modifiés.
Au moment du crash, le problème de givrage des sondes Pitot était aussi identifié et connu des autorités de la sécurité aérienne, d’Airbus et d’Air France elle même puisque durant les six années qui ont précédé le crash, 32 évènements Pitot relatifs au givrage des sondes à haute altitude dans les régions intertropicales ont eu lieu, dont 10 au sein de la compagnie française. Si certains opérateurs avaient anticipé un remplacement des sondes Thales AA, il n’a été exigé « à titre de précaution » par l’EASA dans une consigne de sécurité impérative (Airworthiness Directive) qu’en septembre 2009.
Avant même le crash de l’A330 Air France au milieu de l’Atlantique, les compagnies aériennes et le constructeur avaient anticipé la nécessité de remplacer rapidement les sondes Thales AA par un autre modèle équivalent jugé plus robuste aux conditions givrantes (Thales BA ou celle du fabricant Goodrich). Chez Air France, les choses semblaient prendre du temps mais se mettaient également en place et plusieurs appareils bénéficiaient déjà de nouvelles sondes.
Ironie de la tragédie, le remplacement des sondes Pitot de l’A330 du vol Rio-Paris [F-GZCP] par un autre modèle par les équipes de maintenance d’Air France était justement programmé pour le lendemain du crash ! Hélas l’avion n’est jamais arrivé à Paris.
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visuels : Eurospot et aeronostalgia
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