Trafic aérien en panne, trésorerie évaporée et des aides de l’état réservées à certains acteurs ou conditionnées à des mesures environnementales, le secteur du transport aérien traverse une crise sans précédent et recherche les solutions, notamment financières, pour s’offrir un peu plus de visibilité et éclaircir un avenir qui paraît bien sombre.
Dans un contexte de reprise épidémique, en pleine seconde vague, qui éloigne un peu plus la perspective d’une reprise globale des voyages à court terme, les réponses ministérielles tardent encore à venir.
Ce mardi matin le SCARA, syndicat qui regroupe 50% des compagnies aériennes françaises basées en métropole et dans les territoires ultra-marins, avait convoqué la presse pour faire un point sur la situation actuelle, présenter différentes propositions pour assurer la survie des acteurs de l’aérien français et tirer la sonnette d’alarme en réclamant un signal fort de la part de l’Etat.
L’un des points essentiels qui occupe le SCARA depuis le printemps est de pouvoir obtenir un soutien équitable de la part de l’État à l’ensemble des acteurs de l’industrie du transport aérien français et non au seul groupe Air France – KLM pour respecter le principe de libre concurrence rappelle Jean-François DOMINIAK, Président du SCARA, qui représente notamment des petites compagnies aériennes de l’outre mer dont les compagnies sont un maillon essentiel à la vie sociale et économique de ses territoires.
Dès le 13 mars, le syndicat réclamait en urgence un certain nombre de mesures d’aide à la trésorerie par le dégrèvement des charges URSSAF, des taxes patronales, salariales et des différences redevances (Aviation Civile, aéroports et Eurocontrol), tout en demandant qu’une discussion soit menée en parallèle pour réformer de manière profonde le financement des aéroports et en particulier celui des aéroports de Paris avec la fin du système de « double caisse » que le syndicat juge à la fois néfaste aux compagnies aériennes et à l’intérêt général.
Durant l’été, le SCARA a aussi accueilli l’annonce gouvernementale de vouloir supprimer par arrêté toutes les lignes aériennes “point à point” desservies par un autre moyen de transport en moins de 2h30 avec beaucoup de sévérité, en dénonçant qu’une telle mesure, sous réserve d’être validée au niveau européen, ne porte atteinte à la liberté d’entreprendre sans avoir de réel fondement scientifique concernant l’impact environnemental.
Le syndicat réagit aujourd’hui à la présentation mi-octobre du budget annexe de la direction générale de l’aviation civile (DGAC), dont la dette a fortement progressé par un recours à l’emprunt pour financer l’activité partielle des contrôleurs aériens non couverte par les redevances, ni par les mesures de chômage partiel réservées au secteur privé. « Le budget la DGAC affiche un déficit l’obligeant à emprunter pour équilibrer les comptes. Le remboursement de cette dette ne doit pas être assurée que par les seules compagnies aériennes » estime le SCARA qui demande que les dettes liées au financement de la sûreté ne soit pas supportées par les compagnies aériennes mais par l’Etat.
Le syndicat souligne aussi la situation financière préoccupante des aéroports et réclame une réfection sur le mode de financement de ses derniers, qui est aujourd’hui assuré par les redevances aéroportuaires.
Devant l’effondrement de ces recettes, les concessionnaires des aéroports tendent après cette crise à vouloir augmenter le niveau des redevances pour compenser une partie des pertes. Une situation jugée intenable pour les transporteurs aériens eux aussi extrêmement fragilisés par la crise, explique Jean-François DOMINIAK.
Le SCARA, qui demande l’ouverture d’un moratoire sur les bases établie durant les assises du transport aérien, estime enfin c’est avant tout aux actionnaires des plateformes aéroportuaires de jouer leur rôle en situation de crise par des avances de trésorerie et l’absorption des pertes liées à la baisse du trafic depuis le printemps. Son président, Jean-François DOMINIAK répond à nos questions.
/// Faut-il revoir le financement des aéroports ?
J-F.D : « Les plateformes aéroportuaires sont des infrastructures lourdes et stratégiques pour l’Etat (…) Nous estimons aujourd’hui que le modèle économique de financement des aéroports et notamment des aéroports de Paris a atteint ses limites. Les actionnaires (notamment l’Etat actionnaire : NDLR) doivent jouer un rôle, aussi en cas de crise par des avance de trésorerie et l’absorption des pertes. »
/// Qu’attendez-vous de l’Etat à très court terme ?
J-F.D : « Une crise il faut dans un premier temps l’affronter avant d’aller plus loin dans les mesures. J’ai entendu en juin le ministre Djebbari ouvrir la porte à un débat (…) il faudrait avoir le courage de le mettre en place. Nous pensons que cela peut fonctionner à condition que tout le monde soit de bonne foi. Aujourd’hui la situation est suffisamment grave ; les milliards dépensés pour pouvoir relever la nation le montre bien. Il est plus que grand temps qu’un débat s’ouvre pour pouvoir réfléchir à des mesures plus profondes que cosmétiques.
« Nous verrons mais dans un premier temps nous attendons que l’Etat fasse un signe pour ouvrir le débat et trouver des solutions. Cela serait un signe fort pour les entreprises et ses dirigeants que l’Etat manifeste son profond intérêt pour le pavillon français dans un contexte où les actionnaires ont du mal à y voir clair. Si les actionnaires ont le sentiment que l’Etat abandonne le pavillon français, ils partiront ailleurs et cela signera la fin du transport aérien français. »
/// Quelles est la situation des compagnies aériennes française ?
J-F.D : « Ceux qui s’en sont mieux sortis en début de crise commencent à avoir avec la seconde vague de grandes difficultés. On est tous dans des situations compliquées. D’ici la fin de l’année si certaines ne trouvent pas les liquidités suffisantes, il va y avoir des soucis. »
« L’année 2021 parait franchement difficile car on ne sait pas si il va y avoir une stabilisation, une petite amélioration ou une chute totale et nous devons, en tant que dirigeant, prendre des décisions dans un univers opaque. C’est très difficile, c’est pourquoi le rôle de l’Etat est essentiel et prend tout son sens. »
/// Air France – KLM peut t-il éviter une nationalisation ou une scissions des parties française et néerlandaise ?
J-F.D : « Pour AF-KLM, l’Etat étant actionnaire se doit de faire quelque chose. Il faut remettre au pot. (…) Je ne peux pas vous dire ce qu’il va se passer pour Air France – KLM qui n’est pas un de nos adhérent mais quand les crises sont sévères, cela ne me choque pas qu’il y’est un regain de nationalisation. »
/// Comment voyez-vous la reprise du trafic aérien ?
J-F.D : « Aujourd’hui le marché s’est globalement rétréci. Le jour où les frontières vont rouvrir, le trafic aérien sera là mais nous allons connaître une reconfiguration de la demande. »
« Le marché du fret fonctionne bien et devrait connaître de beaux lendemains. Celui des passagers peut être découpé en trois segments. Le marché Loisir en a pris un sacré coup et ne repartira pas avant que la crise sanitaire soit réglée car les gens ont peur de se retrouver bloquer hors du territoire. Cela va prendre du temps. Le trafic affaires, le plus rémunérateur pour les transporteurs, va encaisser un mauvais coup en raison de l’évolution des pratiques des entreprises (réunions à distance, budget voyages d’affaires réduits,… : NDLR). En revanche, le marché affinitaire devrait lui repartir plus vite comme vers les DOM-TOM mais aussi sur les marchés d’Afrique du nord et européens. »
/// Une consolidation des transporteurs est-elle inéluctable ?
J-F.D : « Pour cette crise, tout s’est effondré en quelques semaines. Cela montre la fragilité de nos modèles économiques, avec des marges très faibles. En temps normal nous générons du cash mais quand le trafic s’arrête nous le brûlons à une vitesse hors normes. L’extrême fragilité de nos entreprises est une des leçons à tirer de cette crise. »
« Il va y avoir une grosse restructuration mais il faut espérer que les tarifs remontent progressivement après cette crise et reflètent davantage le coût réel du transport. Cela est par exemple extrêmement positif de voir que des compagnies comme Corsair arrivent encore aujourd’hui à attirer des investisseurs. »
visuels : AAF et ADP
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